Putain de métier

Le projet de loi visant à pénaliser les clients des prostituées sera débattu fin novembre au Parlement. Chez les politiques comme chez les féministes, la prostitution est d’abord clivante sur le plan philosophique.

Alors que le débat sur la prostitution se retrouve de nouveau au cœur de l’actualité, deux courants s’affrontent chez les féministes. Les abolitionnistes dénoncent le « système prostitueur » (sic). Les réglementaristes sont, eux, partisans d’une dépénalisation totale et d’une législation plus protectrice. Violences infligées aux femmes contre liberté de disposer de son corps : les arguments s’entrechoquent.

Depuis l’interdiction des maisons closes en 1946, la France s’ancre dans une tradition abolitionniste, dont témoigne le futur projet de loi visant à pénaliser les clients. «Utopie !», disent certains, Marcela Iacub en tête. L’auteure de Qu’avez-vous fait de la libération sexuelle ? (Flammarion, 2003) est une figure de proue du mouvement réglementariste qui pose la liberté de disposer de son corps comme principe inviolable. David Courbet, journaliste et auteur de Féminismes et pornographie (Broché, 2012) explique : « ces personnes se réclament d’un courant féministe que l’on appelle «pro-sexe». Elles partent de l’idée que leur corps leur appartient et qu’elles sont entièrement libres d’en faire ce qu’elles veulent. » Libres donc de le vendre sexuellement. « De le louer », corrige le journaliste. Les prostituées sont ainsi devenues les travailleuses du sexe. Qui dit travail dit syndicat : le Strass (Syndicat du travail sexuel) exige entre autres une « putain de retraite », l’accès à la sécurité sociale et à une location facilitée et non plus assimilée à du proxénétisme. Pour le syndicat, la prostitution, libre et volontaire, est une profession libérale à part entière : un échange de services où une offre rencontre une demande.

« Elles se donnent à consommer pour consommer »

Une liberté soumise au pouvoir de l’argent, donc ? David Courbet rétorque : « la dépendance économique peut naturellement rentrer en jeu : toutes ne font pas leur métier avec joie, même si elles décident de l’exercer librement. Mais elles partent de l’idée que cette profession est moins contraignante que de récurer des chiottes et faire la caissière. »

Une logique libérale-libertaire que dénonce l’abolitionniste Geneviève Duché, présidente de l’Amicale du Nid pour qui « les prostituées se donnent littéralement à consommer pour pouvoir consommer davantage ». Selon elle, la prostitution demeure une violence faite aux femmes, réduites à l’état d’objets sexuels et soumises au patriarcat. Les statistiques sont parlantes : pour la population concernée, « 99% des clients sont des hommes, 85% des personnes prostituées sont des femmes », explique Geneviève Duché. Et d’asséner que « la prostitution est le contraire de la liberté sexuelle pour laquelle les féministes continuent de lutter ».

L’État est ici spectateur impuissant d’une misère sociale qu’il a tenté de cacher (en interdisant le racolage, par exemple) mais qui ne disparaît pas pour autant, une majorité des prostituées exerçant encore sous le joug de proxénètes. De fait, violences et humiliations sont toujours le lot de cette population d’esclaves modernes. Les autres seraient, pour les abolitionnistes, des esclaves consentantes guidées par l’appât du gain restant soumises à une logique libérale destructrice, leur imposant une « liberté de produire, de vendre ou d’acheter tout ce qui est susceptible d’être produit ou vendu » selon la formule consacrée de Friedrich Hayek. Une formule que le philosophe Jean-Claude Michéa résume en « vendre n’importe quoi à n’importe qui » (les Mystères de la gauche, 2013). Qu’importe, les réglementaristes insisteront, eux, sur le terme «louer» à la place de « vendre ».

Article publié sur le site de Libération

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