Al Sticking : « Y a pas de mouvement politique qui représente la rue »

T-shirt dessiné par son pote Gum et chaussures rouges tout droit venues du Pérou, Al Sticking est LE collagiste montpelliérain qui s’expose. Dans la rue d’abord, à travers tout l’Écusson. Vous n’avez aucune idée de son visage et pourtant, vous avez déjà sûrement admiré ses créations, disséminées aux quatre coins de la ville. Du quartier St Roch à Boutonnet, de Pierresvives au JAM et jusqu’aux Halles Laissac, son œuvre s’affiche en grand et retient tous les regards. L’homme s’expose aussi en galerie, lors de l’exposition Cosmopolitan par exemple, ou lors de projets comme Parcours. Si ses collages sont en noir et blanc, Al, lui, est un personnage haut en couleurs ! Rencontre avec un phénomène hyperactif du street-art.

Spotted ! On t’a vu sur la couverture du Télérama édition Languedoc, ça y est, c’est la consécration ?

Non, pas forcément, j’estime pas qu’il faille une couverture pour avoir une consécration, puis j’en attends pas forcément, c’est juste une désignation qui fait plaisir, comme une reconnaissance. Télérama, c’est un journal que j’estime plus, peut-être, que Midi Libre ou d’autres médias mais, non, je ne pense pas qu’une couverture soit l’apothéose ou quoi que ce soit, c’est juste peut-être une récompense suite au travail effectué avant, une mise en avant du travail que j’ai fait à Pierresvives, 3p2A, où je m’applique de plus en plus dans des projets, où je me montre maintenant alors qu’avant je travaillais plus dans l’ombre. Depuis Parcours, qu’on a réalisé aux Arceaux, où on avait un contact direct avec les gens pour expliquer notre démarche, et c’est ce que j’ai voulu faire également avec Pierresvives : je m’oblige un petit peu à me présenter pour pouvoir mettre en avant les projets que je représente.

Al Sticking, le « colleur-embrigadeur », ça veut dire quoi ?

Ah ça, je sais pas mais tu l’as sûrement trouvé sur un site à la con, je pense, voilà, donc n’en tiens pas rigueur.

Ah, c’est pas toi, alors ?

Ah si c’est moi mais c’est quelqu’un qui a voulu faire l’agent alors que je ne lui ai absolument pas demandé ça et il me donne des titres à la con que les gens peuvent trouver en tapant mon nom sur Google. Faudra que je pense à le supprimer d’ailleurs, tu peux le publier ça ! (rires)

D’accord ! Du coup, tu peux te présenter rapidement ?

Je m’appelle Al, c’est mes initiales, j’ai 29 ans, je suis collagiste. Le collage c’est le support que j’utilise pour mettre en place des interventions artistiques. Ça peut être soit de l’impression, du pochoir, de la peinture, du dripping…, différents types d’expression où j’utilise le papier pour mettre mes créations sur le mur de manière assez rapide et en grand format.

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C’est parce que les graffeurs avaient plus la cote auprès des filles que t’es devenu colleur et pasrollerman ?

C’est une question Midi Libre, ça ! (rires) Non, j’ai pas fait en fonction des filles. Et je continue à faire du roller, mais moins qu’avant parce que j’ai beaucoup moins de temps… Je savais pas que le graff avait la cote auprès des filles… Non, mais j’ai fait du collage parce que je savais pas graffer déjà : je sais pas intervenir directement en traçant sur un mur ou sur une feuille, je suis obligé de passer par la photographie pour mettre en place des personnages ou des mises en scène.

Comme dit Brassens, « sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie », t’as suivi des cours pour en arriver là ?

Pas du tout ! Non, je suis très autodidacte et je m’inspire de beaucoup de choses. J’ai pas de formation, j’essaye de m’inspirer de ce qui m’entoure, des gens, de ce que je ressens… J’utilise des mediums qui permettent de faire des détours pour arriver à l’idée première : simplement faire un dessin, je pourrais pas le faire donc j’utilise la photo, l’infographie, des techniques numériques pour ensuite mettre en place le visuel que je souhaite.

Le collage, ça nourrit son homme ?

Ben non, pas forcément, j’ai pas de revenu régulier en fait. Ça, c’est un petit peu l’aventure, c’est-à-dire que j’ai pas mon salaire fixe qui tombe tous les mois. Y a des mois où j’ai des projets intéressants qui se concrétisent et me permettent de vivre correctement… Mais après, quand je m’implique dans d’autres projets, où pendant huit mois j’suis bloqué sur un travail et j’ai rien qui tombe à côté, c’est très emmerdant : c’est du jonglage, je suis un petit peu un circassien, des fois, je crois.

Tu sévis ailleurs qu’à Montpellier ?

Quand je me déplace, ouais. En Normandie, à Angers, à Nantes ou quand je vais dans d’autres pays : Berlin, Londres, Pérou… Je laisse un petit souvenir.

Dans dix ans, t’es où ?

Très bonne question. Déjà, tu m’aurais demandé y a dix ans où j’en serai, j’aurais pas du tout imaginé là où j’en suis aujourd’hui… C’est une question à laquelle j’ai malheureusement pas de réponse.

Quand tu colles dans les rues, on considère toujours que tu vandalises ? T’as déjà été traîné en justice ?

Non. C’est aussi un bon atout du collage : ça s’enlève plus facilement, ça a une image moins négative que le graffiti. Les gens, dans le graffiti, ils ont tendance à tout assimiler au tag – ce qui n’est pas vrai déjà. J’ai eu des problèmes avec la police, avec les autorités, mais ça n’a jamais été très loin. Au moins à Montpellier, je pense que, maintenant, c’est plutôt reconnu comme une valeur culturelle donc je suis pas trop embêté à ce niveau-là. Je me permets même de coller en plein jour, pas besoin de me déguiser avec une capuche à faire le grand délinquant de nuit…

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Il est grand comment ton échafaudage pour coller sur les Halles Laissac ?

Eh bah, y a pas d’échafaudage pour les Halles Laissac, c’était étage par étage, simplement ! Les Halles Laissac m’ont servi d’échafaudage. J’avais travaillé avec d’autres collègues que je ne citerai pas (rires) et on a commencé à 23h, on a fini à 7 heures du mat’. C’était la nuit, le soir du résultat des votes de l’élection présidentielle donc les autorités étaient occupées ailleurs. Là, c’est vrai que je pouvais pas le faire en pleine journée et ça s’est bien passé : je m’étais arrangé avec le vigile du parking qui a cru que c’était légal et du coup, on a pu travailler toute la nuit sans être emmerdés. C’est que des bandes de 90 cm de large que tu colles bout à bout, étage par étage, donc ça représente un certain travail et de se pencher au-dessus des rambardes pour chaque bande, les abdos prennent très cher, j’ai mis du temps à m’en remettre…

Al Sticking dans une galerie plutôt que sur les murs de Montpellier, c’est pour quand ?

Pas pour tout de suite. J’ai fait une tentative avec l’exposition Cosmopolitan, qui était présentée à la galerie At Down rue du Plan de l’Olivier, en dessous de la Panacée. D’ailleurs, en ce moment, y a une très belle expo de Zest qu’il faut aller voir, qui est vraiment extraordinaire, j’aime beaucoup son travail et cette expo en particulier. Donc, nous, on a fait une expo collective cet été avec quatre autres artistes : Salamech,GumPolarMomies et moi mais y a pas eu un super retour en termes de ventes. Mais j’ai pris beaucoup de plaisir à la faire avec ces gens-là, c’était un petit test avec une équipe de gens que j’apprécie, pour voir. Mais je prends beaucoup plus de plaisir à travailler dans la rue que pour des galeries. Donc c’est pas pour tout de suite.

J’ai entendu parler d’un projet avec le JAM, avec Salamech…

Ouais, ouais, j’y étais encore tout à l’heure, on vient de terminer tout juste. C’est un projet qu’on a commencé durant l’exposition Parcours où Adrien et Claire, qui travaillent au JAM, sont venus à notre rencontre, ont vraiment apprécié nos travaux et on a commencé à réfléchir ensemble à un projet d’embellissement du JAM, qui est un lieu magnifique. Moi je connaissais pas plus que ça avant, j’en avais entendu parler mais j’avais encore jamais fait l’effort d’y aller, je savais pas où ça se trouvait… Du coup, je me suis rendu dans ce lieu-là : j’ai vu que c’était une équipe vraiment terrible, une programmation de fou, des choses que j’écoutais pas forcément parce que je suis pas assez cultivé en matière de jazz ou de blues, mais j’ai dû me rendre à plein de concerts après cette rencontre-là et j’ai vu que des bonnes choses, le cadre est super bien, le son est au top, et les artistes qui passent sont vraiment des gens très qualifiés. On a essayé de mettre en place un visuel avec Salamech, qui soit à la hauteur du lieu, et pour inciter les gens à faire le premier pas, à venir voir ce qu’était cette salle et je pense qu’une fois que t’as goûté, tu peux plus t’en séparer.

Donc là, on a fini le mur, on a fait une demande de financement par Internet, via le site Ulule, avec un système de crowdfunding : on avait besoin de 4 000 euros pour mettre en place ce projet-là, que ce soit au niveau des matières premières, des moyens de mise en place, de la location de l’échafaudage… On a réussi à avoir la somme demandée, même un petit peu plus, et on a commencé y a trois semaines environ. Ça nous a pris plus de temps que prévu, on a eu besoin de plus de matière que prévu aussi mais on est super contents du résultat et là, le vernissage est pour le 16 octobre au soir : tout le monde est invité à se rendre devant le JAM pour participer à cette fête. Les gens qui ont participé de façon financière au projet pourront rentrer de manière gratuite et pour les autres, ce sera sept euros mais les places seront assez limitées.

Les 4 000 euros ont servi à te payer aussi ?

Ouais, mais qu’une très petite partie parce qu’on a eu beaucoup de frais sur la matière et la location de moyens techniques et on a passé beaucoup plus de temps que prévu donc on sait même pas combien on a touché, avec tout ce qu’on a dépensé. On sait pas ce qu’on va pouvoir récupérer dessus mais on a passé un super bon moment à le réaliser et on est super content. On a hâte que ce visuel vive avec les années et que les gens qui vont venir découvrir le JAM le découvrent en même temps.

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Crédit photo : Tiffaniem

Pierresvives qui t’ouvre ses portes, avec l’expo 3P2A, là c’est la consécration, non ?

Pas forcément non plus ! (rires) C’est pas des consécrations, c’est des étapes, des portes qui sont ouvertes aussi, c’est des propositions qui sont intéressantes… J’ai failli refuser au début Pierresvives malgré le fait que ce soit quand même quelque chose d’exceptionnel mais, c’est pas forcément ce que je fais, moi, à la base. Je suis quelqu’un qui crée des personnages, qui les colle sur les murs, donc gérer un événement aussi grand que celui-ci dans un lieu aussi fou que celui-là, ça fait un peu peur, et du coup, je me suis beaucoup posé la question. Finalement, je me suis dit : « Vaut mieux que ce soit moi qui le fasse plutôt que quelqu’un qui sorte de nulle part, qu’a juste fait ses études aux Beaux-Arts mais qui connait rien à la rue, qui représentera pas le mouvement à sa juste valeur ». Donc je me suis vraiment investi sur ce projet, j’ai passé huit ou neuf mois à le mettre en place, j’ai rencontré des gens extraordinaires qui se sont vraiment eux aussi impliqués dans le projet et on a pu, tous ensemble, créer un événement important comme ça n’a jamais été fait dans la région, même plus je pense, et je remercie tous les acteurs qui ont été présents sur ce projet-là.

Sur ton dernier collage, on voit un enfant, crieur de rue, style XIXe, et sur son journal, la une c’est « Scandale, les arts urbains en institution : le peuple réclame un retour à la rue ». Tu fais dans le politique !

Ah bon ? Tu trouves ? Pas du tout, non. Je suis apolitique, en fait. J’appartiens à aucun mouvement.

Y a aucun message politique derrière ça ?

Non, y a pas de message politique. C’est pas un message politique, c’est un message humain, je pense. Y a pas de mouvement politique qui représente la rue, je crois. Le peuple s’exprime dans la rue, c’est lui qui domine la rue et c’est pas les politiques. La rue n’appartient à aucun pouvoir politique, c’est pour ça que je suis de la rue à la base, et que je suis apolitique.

Et quand tu colles une image, avec un couple lesbien, en pleine polémique du mariage pour tous, là tu vas pas me dire que ce n’est pas politique !

Non, c’est humain, également. Je pense que l’amour n’est pas politisé. Je l’ai fait suite à des problématiques politiques, oui, puisque c’était le soir où le texte de loi passait à l’Assemblée que je l’ai collé ce visuel-là. Moi j’étais juste outré par les gens qui sortaient dans la rue pour crier des choses obscènes et contre l’humanité. Les gens qui s’opposaient au mariage gay ne s’opposaient pas au mariage gay ! Moi je m’en fous du mariage en fait, j’étais juste offusqué par les gens qui trouvaient ignoble que des gens du même sexe puissent s’aimer. Donc j’ai voulu mettre un petit uppercut, et puis l’emplacement était assez bien choisi, face à une Église aussi (NDLR : celle de St Roch) pour essayer de réveiller les consciences, ou plus simplement pour faire un pied-de-nez à toute cette envolée.

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Chiche, tu fais la peinture de la 5e ligne de tram ?

Y a Miss Tic qui est déjà dessus, je l’ai vue dans les propositions de gens qui avaient répondu à l’appel d’offres, c’était publié dans la Gazette, je crois. Après avoir fait des camions de location, ça m’étonnerait pas qu’elle puisse faire le tram, je préfère qu’elle fasse ça que les camions de location. Après, non, moi, je n’ai pas encore atteint le statut de Christian Lacroix !

Minute confession et dernière question : entre nous, les tags, c’est laid, non ?

Eh bien, non. Moi, j’aime bien les tags. Ça dépend où ils sont placés évidemment, mais je pense que comme le graffiti ou comme beaucoup de mouvements artistiques – car oui le tag est un mouvement artistique je suis désolé, de le revendiquer – c’est aussi une calligraphie. L’écriture est un art et la manière de s’accaparer cette écriture et de la faire vivre selon ses humeurs ou sa personnalité, ça fait de l’écriture un art à part entière. Le tag est un art, après oui c’est vrai, y a des gens qui vont en abuser, tu vois, mais bon faut vraiment rentrer dans le microcosme du graffiti ou du tag pour pouvoir comprendre un petit peu tous ses codes mais, en effet, ça ne peut pas plaire à tout le monde, c’est évident. Mais non, le tag c’est pas moche !

Pour en savoir plus sur Al :

  • On ne saurait que trop vous conseiller d’aller vous balader dans Montpellier en scrutant chaque parcelle de mur : collages, graffs, clins d’œil… Soyez à l’affût, y a même des chats qui traînent !
  • Le mur du JAM est enfin terminé ! Al et Salamech vous donnent rendez-vous là-bas, demain (le 16 octobre) à 19h45 pour le vernissage officiel et un concert de Montgroove ;
  • la page Facebook d’Al pour ne rien louper de ses différentes actus.

Crédit photo de une : Tiffaniem

Crédit photos de l’article : Al Sticking

Article initialement publié sur Le Nouveau Montpellier.

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2 réflexions sur “Al Sticking : « Y a pas de mouvement politique qui représente la rue »

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